Par Peter Jung
Le président de la République française a proposé aux responsables allemands, dans son discours-programme à la Sorbonne : « Pourquoi ne pas se donner d’ici à 2024 l’objectif d’intégrer totalement nos marchés en appliquant les mêmes règles à nos entreprises, du droit des affaires au droit des faillites ? ». Cette proposition présidentielle coïncide avec une initiative de la société civile française visant à une codification du droit des affaires dans la zone euro, soutenue entre autres par l’Association Henri Capitant. La proposition d’Emmanuel Macron n’est ni isolée ni nouvelle. Elle est néanmoins nécessaire et audacieuse.
Un Code européen des affaires serait un élément nécessaire pour le marché intérieur. Les divergences actuelles entre les droits nationaux augmentent les coûts des transactions et ralentissent leur mise en œuvre, conduisent à des distorsions de concurrence et peuvent entraîner la perte d’un droit. Le pointillisme actuel de la législation de l’Union européenne en matière de droit commercial et de droit des sociétés fait parfois même apparaître certaines contradictions, provoque des frictions dans les droits nationaux et laisse subsister des divergences importantes. Une codification pourrait surmonter ces faiblesses. Le contre-argument selon lequel la concurrence entre les législateurs nationaux dans la recherche de la régulation la plus appropriée créerait des effets positifs n’est pas convaincant. La proposition d’Emmanuel Macron est également nécessaire dans la situation actuelle de l’Union européenne, car un Code européen des affaires pourrait, parmi d’autres initiatives, donner un nouvel élan et un symbole au projet européen. Une codification supranationale du droit commercial, du droit des entreprises ou du droit des affaires pourrait faire avancer également le droit privé économique lui-même.
Au-delà de sa nécessité, la proposition d’Emmanuel Macron se révèle aussi audacieuse, particulièrement dans sa portée et dans sa nature. Objectivement, un Code européen des affaires couvrirait presque toutes les matières du droit privé et du droit public économique. Une limitation du champ d’application subjectif ou dans l’espace du code n’est pas non plus envisagée. L’unification est prévue à plusieurs vitesses. Il s’agit d’une procédure plus réalisable, mais aussi très risquée dans l’optique de l’Union européenne. L’idéal d’une codification pose également des exigences. L’unification devrait finalement surmonter beaucoup de divergences entre les droits nationaux concernés, même si elle pourrait se baser sur certaines harmonisations spontanées et surtout sur l’acquis du droit international et supranational et des codifications doctrinales. En ce qui concerne les droits français et allemand, on peut citer à titre d’exemples les divergences en matière de contrôle de l’équilibre des contrats commerciaux par le juge, de gouvernance des sociétés anonymes, de droit des groupes de sociétés ou encore de cogestion. Sont en outre inconnues du droit allemand, par exemple, les institutions françaises du fonds de commerce et de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Inversement, l’institution allemande de la procuration générale est inconnue en droit français.
Puisque la proposition d’un droit unifié pour les entreprises fait partie des visions pour l’Europe présentées par Emmanuel Macron, elle doit surtout être jugée dans cette perspective. On doit ainsi se féliciter que la proposition réponde à un besoin réel en Europe continentale et qu’elle vise le seul moyen adéquat qui est un code directement applicable dans les pays concernés. On ne va ainsi pas reprocher au président d’avoir proposé un délai trop court de sept ans, de ne pas avoir réduit le champ du code, d’avoir laissé encore ouverts de nombreux détails de sa mise en pratique et d’avoir ignoré la nécessité d’une juridiction supranationale ainsi que les résistances à un tel projet ambitieux au niveau national. Les juristes franco-allemands doivent en tout cas essayer de réaliser la vision présidentielle d’un code franco-allemand ou européen des affaires.