Le contrat de coalition conclu entre les partis allemands CDU/CSU et SPD mentionne le volonté de créer avec la France un espace économique commun, essentiellement dans trois domaines : le droit de l’entreprise, le droit des faillites et la fiscalité. Reinhard Dammann, associé de Clifford Chance, décrypte les implications concrètes de ce projet.
Pourquoi le contrat de coalition allemand mentionne l’unification des règles en droit des affaires ?
C’est Paul Bayzelon, père de l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires), qui a lancé l’idée d’un Code européen du droit des affaires. Il a réussi à convaincre la France d’inscrire, dans le nouveau traité de l’Elysée, signé à l’occasion des 55 ans de l’acte fondateur de la coopération franco-allemande, une mention relative à l’unification des règles dans ces trois domaines du droit des affaires. En Allemagne, contrairement à la France, le processus législatif appartient exclusivement au Parlement. Il faut donc se réjouir que l’Allemagne ait accepté l’idée d’une harmonisation dans des secteurs aussi importants que le droit des sociétés, le droit fiscal ou le droit des faillites.
Comment cette coopération va-t-elle concrètement se traduire ?
C’est dans le domaine des procédures collectives que la coopération est la plus avancée. La Commission européenne avait constitué un groupe de travail pour la refonte du règlement communautaire n° 1346/2000 sur les procédures de faillites transfrontalières, puis un autre pour l’harmonisation des procédures collectives, dont j’ai eu l’honneur de faire partie. La directive sur l’harmonisation des procédures de restructuration préventive est désormais sur les rails. La France a livré l’architecture de cette nouvelle procédure de restructuration préventive, tandis que l’Allemagne a fourni les mécanismes d’adoption des plans à la majorité (cram-down). En la matière, on peut dire que la France apporte le moteur et l’Allemagne le carburant.
D’ici l’été, la France devrait adopter la loi PACTE et habiliter le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances. Le couple franco-allemand pourrait ainsi jeter des bases acceptables pour l’ensemble des États membres.
Cette coopération permettra-t-elle d’attirer d’autres États membres ?
L’idée du Président Macron, qui a introduit la coopération juridique dans le nouveau traité de l’Elysée, consiste à rapprocher les législations françaises et allemandes sur les trois grandes étapes de la vie de l’entreprise : sa naissance, avec le droit des sociétés, sa vie, avec l’impôt sur les sociétés et sa mort avec le droit des faillites. Il s’agit d’une décision politique habile. Le Président Macron, qui bénéficie de circonstances très favorables sur la scène européenne, a pesé de tout son poids pour que le SPD accepte la coalition avec la CDU de Mme Merkel. Ainsi, la relance de l’Europe comprend un volet juridique, inclus dans le contrat de coalition en Allemagne, dont la France peut revendiquer la paternité. Il permet de replacer le noyau franco-allemand au coeur de l’Europe et de mettre le pied à l’étrier pour le code européen, dans la mesure où d’autres États membres vont souscrire à cette harmonisation.
Dans les autres domaines évoqués, comment cela va-t-il se concrétiser ?
Concernant l’impôt sur les sociétés, l’harmonisation au sein de l’UE est impérieuse avec le Brexit, qui va très vraisemblablement entraîner la baisse des taux d’imposition au Royaume-Uni. On peut donc penser que ce sera rapide. Concernant le droit des sociétés, le France a une carte à jouer avec l’Allemagne et dans le cadre de la société privée européenne, avec son modèle de SAS, qui est plus souple que la GmbH allemande et peut donc servir de modèle. Ainsi, la coopération franco-allemande en matière juridique est un signal fort pour l’Europe.
Anne Portmann
La Lettre des Juristes d’Affaires n° 1341 – 12 mars 2018