Tribune Yves Jégo ancien ministre
www.la-croix.com, 28/10/2021
Alors que la présidence de l’Union Européenne sera française en janvier 2022, Yves Jégo1 estime que le manque d’harmonie entre les 27 législations nationales est un frein à l’efficacité économique de l’Union européenne. Devant l’absence de règles communes, il prône la mise en œuvre d’un Code de Commerce européen.
L’Europe s’est forgée à partir des échanges et du commerce. En posant les bases du marché unifié, l’Acte unique européen de 1986 a été une contribution décisive de la construction européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui : liberté de circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux. Une cinquième liberté a été rajoutée avec la monnaie unique censée parachever cette Europe du commerce et des échanges
Des législations nationales hétéroclites
Pour autant, où sont les règles communes du commerce et des entreprises qui le sous-tendent ? Le remarquable inventaire du droit européen des affaires réalisé en 2016 par l’association Henri Capitant présidée par l’excellent professeur Dupichot démontre que notre marché unique européen, notre monnaie unique, reposent encore aujourd’hui largement sur une mosaïque hétéroclite de 27 législations nationales différentes, peu harmonisées, freins considérables à la convergence et à l’efficacité économique de notre Union. Qui l’aurait pensé ? Qui le sait hormis les chefs d’entreprises freinés dans leur développement ?
Relancer l’Union européenne suppose que cette dernière se consolide, en symbiose avec ses forces vives, que sont ses entreprises et les femmes et les hommes qui les constituent. Le plan de relance européen est une opportunité historique pour donner un nouveau souffle à la construction européenne. La mise en œuvre d’un Code de Commerce européen serait un prolongement logique, puissant, structurant de la solidarité financière européenne acquise de haute lutte avec ce plan de relance, sur l’impulsion conjointe de la France et de l’Allemagne. Depuis plusieurs années la société civile, à travers en particulier la Fondation pour le droit continental et l’association Henri Capitant œuvrent à l’élaboration de ce code européen du commerce, des affaires et des entreprises qui permettrait de simplifier et de fluidifier les relations commerciales à l’intérieur de l’Union.
Introduire rapidement le régime de la Société Européenne Simplifiée
À partir de janvier 2022, la France va présider, à son tour et pour 6 mois, l’Union européenne. Ce sujet doit être une priorité de la présidence française avec notamment, à la clé, la possibilité d’introduire rapidement le régime de la Société Européenne Simplifiée (SES), un peu l’extension à l’échelle de l’Union, du régime franco-français de la Société par Actions Simplifiée, plébiscitée par les entrepreneurs.
Comme le propose l’association Henri Capitant, la SES serait une société européenne de capitaux à responsabilité limitée, indifféremment pluripersonnelle ou unipersonnelle, accessible au plus grand nombre, puisque 12 000€ de capital social seulement seraient nécessaires pour sa constitution (libérables du quart immédiatement et du solde sous 5 années).
La SES serait soumise à un chapitre de dispositions européennes qui lui seraient propres et, subsidiairement seulement au droit national de l’État d’immatriculation (forme des statuts et de la cession des actions, notamment). Elle contribuerait grandement à l’intégration du marché commun, favoriserait les échanges transfrontaliers et pourrait être choisie dans tous les États membres, tout en facilitant la gestion de groupes européens de sociétés.
Perte de souveraineté
Politiquement, comme l’écrit le Président de l’association Henri Capitant, l’existence du statut de SES inviterait les forces vives, en particulier les jeunes entrepreneurs, à voir l’Union comme un espace de liberté d’entreprendre. Comme le fait valoir le professeur Dupichot, un entrepreneur qui souhaite aujourd’hui constituer sa société est en effet obligé de se placer sous l’empire d’un type de société national or, une activité qui naît « nationale » et non européenne le restera trop souvent. C’est là un obstacle indéniable à l’émergence de nouveaux leaders économiques à taille continentale. L’absence de Code de commerce européen explique en grande partie, notre perte de souveraineté et la fuite de nos start-up qui sont aspirées par des pays continents où la question juridique n’est pas un obstacle.
Un droit des affaires unifié constituerait incontestablement le terreau fertile pour favoriser l’émergence de géants de l’économie mondiale ayant construit leur fondation à travers un développement rapide et harmonieux dans l’espace européen. Nombreux sont les rapports parlementaires et les prises de position politiques, tant en France qu’en Allemagne, qui appellent à la création de ce Code de commerce européen. Nombreux sont les acteurs de la société civile qui œuvrent depuis longtemps pour jeter les bases de ce corpus de droit commun plus simple pour les entreprises tout en garantissant les spécificités nationales.
La crise sanitaire a montré notre perte de souveraineté économique et notre dépendance en particulier vis-à-vis de la Chine. Il est donc temps d’armer l’économie européenne. Le projet d’un code européen des affaires est en ce sens un levier puissant et opérant. Ce sujet majeur pour l’avenir mérite, dans le prolongement de la dynamique du plan de relance, d’être inscrit au programme de la prochaine présidence française de l’Union Européenne.
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