Par Rémy Cabrillac, Professeur à la faculté de droit de Montpellier (France)
Recueil Dalloz, 13 juin 2019 – n° 21
L’élaboration d’un Code européen des affaires permettrait de faciliter la réalisation du marché unique, de rendre les règles européennes plus accessibles et constituerait un symbole fort de vitalité de la construction européenne. Ce Code pourrait être élaboré par deux groupes d’experts travaillant sous la houlette d’un comité de coordination. Le premier groupe d’experts réaliserait une compilation des règles européennes qui pourrait entrer en vigueur dès sa réalisation. Cette compilation serait ensuite complétée par des régies harmonisées élaborées par le second groupe d’experts afin d’offrir une codification complète.
Un Code européen des affaires, une chance pour la construction européenne1
1 – L’histoire des codifications démontre que le besoin d’un code est d’abord social, ressenti par les praticiens, avocats, magistrats ou fonctionnaires, confrontés à une crise des sources du droit caractérisée par une difficulté d’accès à la règle qui transforme le paysage juridique en maquis inextricable, avant que les pouvoirs publics ne décident de remédier à cette crise en initiant un processus de codification2.
Le Code européen des affaires n’échappe pas à ce schéma : depuis quelques années déjà, individualités, think tanks ou groupes académiques appellent de leurs vœux une codification du droit des affaires en Europe afin de remédier au manque de cohérence et d’accessibilité des règles européennes en la matière, et les pouvoirs publics semblent aujourd’hui vouloir se saisir de cette question. Le 1er mars 2017, dans un Livre blanc sur l’avenir de l’Europe, la Commission qui envisage plusieurs scénarios d’intégration européenne évoque dans l’un d’eux « un groupe de pays travaille en collaboration et convient d’un “code de droit des affaires” commun »3. Le 26 septembre 2017, le président de la République, dans un discours prononcé à la Sorbonne, proposait à l’Allemagne « d’intégrer totalement nos marchés en appliquant les mêmes règles à nos entreprises, du droit des affaires au droit des faillites »4. Dans le prolongement de cette intervention, le Traité d’Aix-la-Chapelle sur la coopération franco-allemande signé le 22 janvier 2019 prévoit de favoriser « l’harmonisation bilatérale de leurs législations, notamment dans le domaine du droit des affaires » (art. 20).
Dès lors, élaborer un Code européen des affaires est-il pertinent (I) ? Une réponse affirmative permettra d’esquisser une méthodologie (II).
I – Pertinence d’un Code européen des affaires ?
2 – La France, considérée comme la « patrie des codes » depuis les codifications napoléoniennes, pourrait facilement tirer politiquement profit d’un rôle moteur dans l’initiation de ce processus d’élaboration d’un Code européen des affaires, qui présenterait plusieurs avantages (A), que ne semblent pas contrebalancer certaines résistances possibles (B).
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3 – L’harmonisation du droit des affaires dans les différents pays de l’Union européenne faciliterait la réalisation du marché unique, objectif affiché de la construction européenne dès la conclusion des premiers traités. L’Histoire fourmille d’exemples dans lesquels l’harmonisation, voire l’unification, de règles éparses réalisée par une codification a facilité les échanges économiques dans la zone concernée et a donc constitué un facteur de croissance. Ainsi, l’adoption du Code civil français en 1804 a mis fin à l’éparpillement du droit de l’Ancien Régime, raillé par Voltaire pour qui « Un homme qui court la poste en France change de lois plus souvent qu’il ne change de chevaux »5, favorisant le développement des échanges commerciaux.
Le même besoin d’harmonisation se rencontre dans les Etats fédéraux ou dans les structures supra-étatiques régionales desquelles l’Union européenne pourrait être facilement rapprochée.
Par exemple, aux États-Unis, État fédéral dans lequel le droit commercial relève de la souveraineté de chacun des États, l’adoption de lois identiques relatives au commerce a été décidée au cours du XXe siècle sous l’égide de Y American Law Instituts et du National Conférence of Commissioners on Uniform State laws afin de faciliter les échanges commerciaux. C’est ainsi qu’est né l’Uniform Commercial Code, élaboré sous la direction du professeur Karl Llewellyn en 1949 et adopté progressivement par les différents Etats des Etats-Unis entre 1953 et 1966. Comme l’observait André Tune dans sa préface à la traduction française, « Il n’y a pas là simple coïncidence, mais réponse à un besoin ressenti dès la fin du XIXe siècle : c’est dans le domaine des échanges de marchandises, de titres et d’argent, que l’uniformité du droit est la plus essentielle »6.
Un exemple contemporain particulièrement topique d’harmonisation du droit des affaires dans une zone géographique régionale concerne l’adoption d’un droit des affaires harmonisé dans le cadre de l’Afrique francophone, réalisé par l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique). Comme l’indique clairement la présentation générale sur le site de l’OHADA, son objectif réside dans « la facilitation des échanges et des investissements… [en vue de] propulser le développement économique et créer un vaste marché intégré »7. Les acteurs économiques des pays africains8, comme les spécialistes9, plébiscitent cette mise en place d’un droit harmonisé réalisée progressivement depuis une vingtaine d’années, qui a entraîné un net essor des échanges économiques sur le continent africain.
Les retombées économiques indéniables d’une codification expliquent que d’autres zones géographiques veuillent copier le modèle de l’OHADA. On peut ainsi évoquer la progressive mise en place de l’OHADAC, Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires dans la Caraïbe, qui a pour ambition l’adoption de règles juridiques harmonisées dans le domaine du droit des affaires, afin de favoriser « les échanges économiques dans la Caraïbe »10. Des Principes relatifs aux contrats du commerce international ont déjà été élaborés11 en ce sens.
Dans le même esprit, un mouvement d’harmonisation des droits des contrats sur la base d’une codification s’est déjà amorcé en Amérique centrale. Ainsi, un projet de Code des contrats internationaux a été rédigé par des universitaires et praticiens français, sous le patronage de l’Association Capitant, pour le Système d’intégration centro-américain (SICA), organisation internationale mise en place afin d’élaborer progressivement des normes uniformes sous l’égide d’une Cour centro-américaine de justice qui fédère plusieurs pays12. Dans le continent sud-américain, les Principes latinos-américains du droit des contrats ont ainsi été diffusés en 201713 et le Groupe pour l’harmonisation du droit en Amérique latine (GADAL en espagnol) prépare un projet concurrent.
4 – La codification présente également l’avantage de faciliter l’accès à la règle de droit, en permettant aux citoyens, en l’occurrence les acteurs économiques, de trouver dans un corpus unique la règle applicable plutôt que de devoir la chercher dans les lois éparses de différents pays. La difficulté d’accès aux règles issues de l’Union européenne14 contribue à ternir l’image de l’Europe, ce qu’une codification permettrait facilement de corriger. Cette simplification pourrait s’appuyer sur un outil performant de type Légifrance, envié par beaucoup de pays du monde, qui offrirait d’accéder aux textes du Code européen des affaires mis à jour, dans leur version actuelle et même dans leur version en vigueur à une date future, ou de type Magicode15.
Il faut ajouter que cette accessibilité qu’offrirait la codification ne produirait pas seulement un effet bénéfique « interne », c’est-à-dire pour les échanges intérieurs européens. Elle renforcerait l’attractivité économique de l’Europe, les ressortissants d’autres continents n’hésitant plus à traiter avec un partenaire de n’importe quel pays européen sur la base d’un droit unique, facilement accessible de l’étranger.
5 – La codification possède en outre une dimension symbolique forte16. L’élaboration et l’adoption d’un Code européen des affaires constituerait un signal significatif montrant que la construction européenne n’est pas en panne, à un moment où l’euroscepticisme semble dominant. À la manière de la bannière étoilée ou de la monnaie unique, un code, fût-il de droit des affaires, donnerait à la population des différents pays européens le sentiment d’appartenir à une même Nation en construction.
Cette fonction sociale de la codification est bien connue17. Pour se limiter à un seul exemple, les pays européens lors de leur unification politique à la fin du XIXe siècle se sont en même temps dotés de codes (Code de commerce allemand de 1880 et BGB, Code civil, de 1896 ; Code civil italien de 1865 ;
Code civil roumain de 1865), qui ont renforcé leur d’appartenance nationale.
6 – Un dernier avantage est conjoncturel : la perspective d’un Brexit ne peut que faciliter la mise en branle du processus d’élaboration d’un Code européen des affaires comme sa réalisation concrète. En effet, l’Angleterre manifeste par tradition une « méfiance viscérale »18 à l’égard de la codification, et le droit anglais, matrice des droits de common law, possède des traits caractéristiques très spécifiques qui le rendent difficilement codifiable, comme en témoigne l’enlisement des travaux des Law commissions créées en 1965 pour rationaliser le droit. À l’inverse, vingt-six autres pays membres de l’Union européenne se rattachent à la tradition du droit continental, dont l’empreinte semble également prégnante en Irlande. Les concepts fondamentaux, souvent hérités du droit romain, doublés d’une longue pratique d’échanges économiques, ont contribué à forger des règles voisines, qui seront faciles à harmoniser.
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7 – Des résistances à ce processus d’élaboration d’un Code européen des affaires paraissent inévitables mais ne semblent pas dirimantes.
8 – L’adoption d’un Code européen des affaires ne pourra éviter de se heurter à différents freins d’ordre psychologique, liés à la résistance face à la nouveauté, à la peur de voir bouleversées les habitudes installées. Vont sans doute aussi apparaître, ici ou là dans l’Union européenne, des tentatives de praticiens ou d’acteurs de la vie économique de conserver un marché lucratif auquel l’adoption de règles uniformes mettrait fin.
Mais l’argument, présent pour toutes les codifications de l’Histoire, n’a pas empêché celles-ci de prospérer, malgré les conservatismes ou les corporatismes. Une campagne préalable de communication sur les avantages de la codification, une campagne d’information et de formation sur les nouvelles règles en vigueur avant leur adoption devraient vaincre ces réticences.
9 – D’une manière plus dirimante, une tentative d’élaboration d’un Code européen des affaires pourrait également se heurter à l’attachement des populations aux droits nationaux.
Ainsi, le processus d’adoption d’un Code européen des contrats, initié il y a plus de vingt ans par des groupes d’universitaires et qui a abouti à l’élaboration d’un Cadre commun de référence et d’une Proposition de règlement pour un droit commun européen de la vente, est actuellement en panne19. Lors de ce processus est apparue dans différents pays la crainte d’une disparition des droits nationaux20, peur renforcée par l’image parfois véhiculée d’un législateur européen bureaucrate et tatillon21.
L’ombre de cet échec ne devrait pas freiner le projet de Code européen des contrats. Le droit des contrats relève du droit civil, qui accompagne l’ensemble des individus et de leurs activités depuis avant leur naissance jusqu’après leur mort, constitue la quintessence de chaque tradition nationale. D’une manière générale, les droits des affaires nationaux, qui ne concernent que les activités économiques, ne devraient pas susciter un tel attachement, les acteurs du monde économique étant sans doute plus réceptifs aux avantages apportés par l’Union européenne que l’ensemble de la population. En France, plus précisément, si le Code civil est devenu « lieu de mémoire de la Nation »22, tel n’est pas le cas du nouveau Code de commerce de 2000, compilation brouillonne dont la disparition pourrait intervenir sans traumatisme.
Le bilan avantages/résistances semblant largement positif, reste à esquisser quelques pistes méthodologiques que pourrait emprunter l’élaboration d’un Code européen des affaires.
II – Esquisse d’une méthodologie
10 – Le cadre général du projet (A) mérite d’être examiné avant la méthode de codification (B).
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11 – Le terme de « code » est-il approprié à cette réalisation ? Selon un Vocabulaire juridique qui fait autorité23, le terme de « code » posséderait pas moins de cinq acceptions différentes, fruit de l’Histoire, qui a davantage procédé par stratification que par substitution. Néanmoins, il est possible de dégager l’essence de la notion de code qui transcende ces définitions : le code peut être entendu largement, comme un « ensemble de règles juridiques mises en forme »24. Le Code européen des affaires envisagé s’inscrit parfaitement dans le cadre de cette définition.
On peut ajouter que l’emploi du terme serait d’autant plus approprié en la matière que l’image du code, remède à l’insécurité juridique facilitant l’accessibilité à la règle de droit, est à la fois bien connue et positive dans l’opinion publique, au-delà même du cercle des juristes.
12 – Le périmètre du Code, le droit des affaires, semble également pertinent. Il reste, bien sûr, à définir ce qui compose le droit des affaires : statut du commerçant individuel, droit des sociétés, droit des entreprises en difficulté, droit de la distribution, droit bancaire et financier, droit de la concurrence, droit des brevets, fiscalité des affaires doivent incontestablement intégrer ce Code européen des affaires25.
Il nous semble, au-delà, qu’une acception étroite devrait prévaloir, ne serait-ce que pour éviter que la tâche de codification ne soit démesurée ou au moins ralentie par d’autres considérations.
En particulier, certaines matières nous semblent devoir être exclues. Le droit commun des contrats devrait échapper à la codification, dans la mesure où, quantitativement, la plupart des contrats sont civils et que la codification pourrait alors se heurter à la volonté de conserver les droits nationaux précédemment évoquée. Seuls certains contrats exclusivement commerciaux pourraient intégrer ce Code européen des affaires. Le droit de la consommation, aux finalités spécifiques qui sont éloignées de celles du monde des affaires et qui pourrait faire l’objet d’un code européen propre26, devrait également être exclu du périmètre de la codification. Enfin, le droit social, qui obéit pareillement à une logique propre et n’est pas exempt d’une dimension politique rendant sa codification plus sensible, pourrait demeurer extérieur au projet de codification.
13 – Quant à l’autorité politique chargée d’impulser et de conduire l’élaboration d’un Code européen des affaires, il peut s’agir soit des pays membres par la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux, soit des autorités européennes.
Il nous semble qu’un Code européen des affaires devrait être initié par les pouvoirs publics européens, mieux à même de réaliser cet objectif que les différents gouvernements européens agissant par voie bilatérale ou même multilatérale. La multiplication d’accords entre États membres ne pourrait que compliquer et retarder le processus de codification, voire aboutir à élaborer un Code qui ne serait pas applicable uniformément dans l’ensemble des pays européens.
Une option possible, afin de faciliter l’adoption du Code, pourrait être de réaliser la codification dans la seule zone euro, au moins dans un premier temps, quitte à ce qu’elle soit étendue par la suite aux autres pays membres de l’Union. Réduire le nombre de pays participant à la décision de codification et à sa réalisation rendrait celle-ci plus aisée et plus rapide.
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14 – Le choix d’une méthode de codification est fondamental. Deux types de codifications s’opposent depuis la nuit des temps, la codification-modification, qui opère une modification des règles juridiques en les regroupant, et la codification-compilation, qui se contente de rassembler des textes épars dans un seul corpus, « la codification cornélienne du droit tel qu’il devrait être et la codification racinienne du droit tel qu’il est », selon l’élégante formule de Guy Braibant27.
15 – Un Code européen des affaires complet et cohérent exige une codification-modification. En effet, se limiter à une seule compilation ne serait pas satisfaisant dans la mesure où, par définition même, au-delà de quelques règles européennes commîmes issues de directives, les droits des affaires des pays membres de l’Union européenne sont composés de règles différentes.
Il ne faut toutefois pas occulter qu’une codification-modification peut se heurter à plusieurs écueils :
- initier une codification-modification exige une volonté politique plus forte qu’une simple codification-compilation.
- elle réclame également davantage de temps et pourrait prendre de nombreuses années. La tâche semble toutefois moins démesurée qu’il pourrait paraître, dans la mesure où l’élaboration du Code pourrait s’appuyer sur des travaux académiques déjà échafaudés et s’inspirer des actes uniformes adoptés au sein de l’OHADA dans plusieurs matières de droit des affaires, actes uniformes techniquement proches du droit français donc rattachés à la tradition du droit continental. Pour atténuer les inconvénients du facteur temps, la codification pourrait également intervenir tranche par tranche, c’est-à-dire matière par matière, par livres successifs, qui rentreraient en vigueur au fur et à mesure de leur élaboration, afin de ne pas ralentir le processus d’élaboration du Code, ce qui permettrait, par ailleurs, de ne pas bouleverser l’activité économique par une modification complète de l’ensemble des règles juridiques applicables.
- enfin réaliser une codification-modification nécessite de régler la question de l’articulation du Code européen des affaires avec les différents droits nationaux. Schématiquement, deux solutions sont possibles. Pour la première, le Code européen des affaires est conçu comme un instrument optionnel, qui peut être librement choisi par les acteurs économiques des différents pays membres. U s’ajoute donc aux droits des affaires des pays membres. Pour la seconde, le Code européen des affaires remplace, dès son entrée en vigueur, les droits nationaux dans les matières concernées. Il nous semble que cette seconde branche de l’option doit être privilégiée, le Code européen des affaires devant se substituer aux différents droits nationaux. En effet, s’il constituait un instrument optionnel, son adoption ne ferait qu’ajouter une couche au mille-feuille juridique, ce qui compliquerait la lisibilité des règles applicables au lieu de la simplifier.
Dans le prolongement de cette question, il faut ajouter que, dans une perspective plus lointaine, l’adoption d’un Code européen des affaires ne serait pertinente que si l’interprétation de ses dispositions n’était pas abandonnée aux juridictions nationales des différents États membres qui pourraient faire éclater l’uniformisation réalisée. Cette nécessité ne soulèverait pas de difficultés : il suffirait que le mécanisme de renvoi préjudiciel en interprétation devant la CJUE (art. 267 TFUE) s’applique aux dispositions du Code des affaires.
16 – Une autre option, moins ambitieuse et plus facilement réalisable, semble concevable.
La codification pourrait prendre la forme d’une simple compilation des nonnes européennes existantes en la matière, ce qui aurait déjà le mérite de les rendre plus accessibles.
Cette compilation n’offrirait toutefois qu’une réglementation très parcellaire, aboutissant à un Code européen des affaires bancal, qui ne remplirait pas l’effet de complétude poursuivi par toute codification.
17 – Dès lors, la méthode qui nous paraît la plus pertinente résiderait dans une combinaison des deux types de codification. Deux groupes d’experts pourraient être nommés, qui travailleraient en parallèle, sous la direction d’un comité de coordination.
Le comité de coordination fixerait le cadre méthodologique général : le périmètre du droit des affaires devant être codifié, le plan du Code, la méthode générale de travail, le calendrier prévisionnel. Il pourrait également jouer un rôle d’harmonisation des travaux des deux groupes d’experts au fur et à mesure de leur restitution. Ce comité de coordination pourrait être composé d’un petit nombre de membres, en vertu de la règle d’or qui domine la composition des commissions de codification, moins on est nombreux, mieux on codifie28.
Le premier groupe d’experts réaliserait une simple compilation des règles européennes existantes dans chacune des matières identifiées comme faisant partie du droit des affaires. Ce premier groupe d’experts pourrait s’appuyer sur l’important travail déjà réalisé par l’Association Capitant et la Fondation pour le droit continental29. Codifiant à droit constant, ce groupe d’experts n’a pas besoin d’être trop étoffé et pourrait être composé de fonctionnaires européens.
Le second groupe d’experts serait chargé d’élaborer des textes comblant les lacunes de cette compilation, en proposant une réglementation commune, fondée si possible sur le plus petit dénominateur commun entre les législations européennes dans les différentes matières concernées. Ce second groupe d’experts devrait être composé d’universitaires spécialistes du droit des affaires et comprendre autant de membres que de pays appartenant à l’Union européenne (ou à la zone euro si la codification était limitée dans un premier temps à cette zone).
18 – Les travaux du premier groupe de travail pourraient rapidement aboutir et devenir le Code européen des affaires.
Le Code européen des affaires ainsi réalisé serait ensuite progressivement complété par les travaux du second groupe d’experts, livre par livre, au fur et à mesure de leur achèvement, l’éventuel ajustement entre compilation et codification étant opéré par le comité de coordination.
Le Code européen des affaires deviendrait alors complet, régissant l’ensemble des relations d’affaires au sein de l’Union européenne.
Un tel processus permettrait de promulguer rapidement un Code européen des affaires, tout en lui permettant de remplir au fil du temps sa fonction de complétude.
19 – Comme l’observait Bruno Oppetit, on est « porté à se demander si la codification, tout au moins dans ses phases d’essor et de rayonnement, n’a pas pris la dimension d’un véritable mythe, au sens d’une utopie de nature à conduire à la naissance de la cité idéale »30. L’idée d’un Code européen des affaires n’est-elle pas une utopie lancée comme une bouée à la mer à la seule fin de tenter de réenchanter une Europe plongée en pleine crise de neurasthénie ? Ce serait oublier un peu vite que « Les utopies ne sont souvent que des vérités prématurées »31 …
1 Le présent article s’inspire de ta note remise, à l’occasion d’une audition à V Assemblée nationale le 27 mars 2019, à la députée Valérie Gomez-Bassac, chargée par le premier ministre d’un rapport sur l’opportunité d’un Gode européen des affaires. Qu’elle soit remerciée de sa confiance et de son écoute.
2 R. Cabrillac, Les codifications, PUF, coll. Droit, éthique et société, 2002, p. 68 s.
3 Livre blanc sur l’avenir de l’Europe, Réflexions et scénarios pour l’EU-27 à l’horizon 2025,2017, p. 21.
4 www.toutel’europe.eu.
5 Précis du siècle de Louis XV, in Œuvres complètes, Gamier, t. 15, 1878, ch. 42, p. 427.
6 A. Tune (préf.), Uniform Commercial Code, trad. par C. Lambrechts, Armand Colin, 1971, p. 14.
7 www.ohada.com. Présentation de l’OHADA.
8 Un sondage informel témoigne concrètement de l’efficacité économique de l’OHADA : à la question « L’OHADA constitue-t-elle un plus pour l’intégration économique et la croissance en Afrique ? », 96,6% répondent par l’affirmative.
9 V. par ex., R. Foche et V. Ouafo Beppyassi, Le droit OHADA, un capital vital pour le redressement de ¡’économie africaine, in J. Gatsi (dir. J., L’effectivité du droit de l’OHADA, PU d’Afrique, 2006, p. 49.
10 www.ohadac.com, OHADAC, Pour un droit des affaires unifié dans la Caraïbe,
11 Ibid, site sur lequel figure le texte de ces Principes, élaborés en 2015.
12 Au six États fondateurs (Costa Rica, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Panama, Salvador), se sont ajoutés par la suite Bélize, la République dominicaine et Haïti devenant membres associés. Le projet de code a été établi par Rémy Cabrillac, Mario Celaya, Denis Mazeaud et Yves Picod.
13 I. de la Maza, C. Pizarro et A. Vidal (dir.), Los principios latinoamericanos de derecho de los contratos, prologue A. M. Morales et N. Fenoy, Agencia estatal, BO del Estado, Madrid, 2017.
14 Pour ce constat en droit des sociétés, V. B. Lecourt, Pour un code européen des sociétés, D. 2018. 805.
15 V. E. Catta, Magicode, un instrument de la codification et de la coopération administrative française, in Les 25 ans de la relance de la codification (ss la dir. de M. Guyomar}, LGDJ, 2017, p. 83 et s.
16 V. R. Cabrillac, Le symbolisme des codes, in L’avenir du droit, Mélanges en hommage à François Terré, Dalloz/PUF/LexisNexis, 1999, p. 211.
17 V. Les codifications, op. cit, p. 154.
18 D. Talion, La codification dans le système de Common law, Droits 1998, n° 27, p. 40.
19 Sur les difficultés rencontrées par le processus d’adoption d’un éventuel Code civil européen, V. S. Nadaud, Codifier le droit civil européen, Larder, 2008.
20 V. les différentes sensibilités apparaissant dans les contributions recensées in D. Mazeaud et B. Fauvarque-Cosson (dir.). Pensée juridique française et harmonisation européenne du droit, Soc. Lég. Comp. 2003.
21 B. Oppetit, L’eurocratie ou le mythe du législateur suprême, D. 1990. 73.
22 V. J. Carbonnier, Le Code civil, « P. Nora (dir.), Les lieux de mémoire, t. 2, La Nation, Paris, Gallimard, 1986, p. 309.
23 Vocabulaire juridique, Assoc. Henri Capitant, PUF, 12e éd., 2018, v° Code.
24 Les codifications, op. cit., p. 63.
25 V. le découpage proposé par l’Association Capitant : droit du marché, droit du commerce électronique, droit des sociétés, droit des sûretés, droit de l’exécution, droit des entreprises en difficultés, droit bancaire, droit des assurances, droit des marchés financiers, droit de la propriété intellectuelle, droit fiscal (La construction européenne en droit des affaires, acquis et perspectives, préf. V. Giscard d’Estaing, LGDJ, 2016).
26 L’idée a déjà été émise il y a quelques années, V. F. Osman (dir.), Vers un Code européen de la consommation ?, Bruylant, 1998.
27 G. Braibant, Utilité et difficultés de la codification, Droits 1996, n° 24, p. 61.
28 V. Les codifications, op. cit., p. 213.
29 V. La construction européenne en droit des affaires, acquis et perspectives, op. cit. Ad. : P. Dupichot, Du Brexit au Code européen des affaires, Dr. et patr. 2016, n° 262 ; L. Bélanger, Un code européen des affaires, le droit au cœur de la consolidation de l’Europe, JCP 2017. 790.
30 B. Oppetit, Essai sur la codification, PUF, coll. Droit, éthique et société, 1998, p. 68.
31 A. de Lamartine, Histoire des Girondins, éd. Méline, 1847, I. XXII, p. 322.