Recueil Dalloz, n°30, p. 1688, 6 septembre 2018
Entretien avec Louis Vogel
Louis Vogel est professeur de droit et président du Club d’Iéna
Dans quel contexte s’inscrit cette volonté de codifier au niveau européen le droit des affaires ?
L’absence d’harmonisation des droits des États membres nuit à la compétitivité des entreprises européennes, ainsi qu’à l’attractivité du marché européen pour les entreprises étrangères. Les entreprises européennes qui veulent exporter ou investir dans les autres États membres sont souvent obligées en pratique de vérifier la validité de leurs conditions générales de vente dans leurs contrats de distribution ou de leurs projets d’investissement au regard de vingt-huit législations différentes. Même si elles font l’impasse sur les droits des plus petits États membres, elles sont souvent conduites à devoir vérifier la faisabilité de leurs opérations au regard de cinq à dix réglementations nationales différentes. Les entreprises extra-européennes, notamment américaines, considèrent le marché européen comme un marché extrêmement coûteux, complexe et difficile en raison de la divergence des législations nationales et préfèrent concentrer leurs efforts sur les marchés asiatiques plus faciles d’accès. Pour pallier ces difficultés, la création d’un Code européen des affaires fut suggérée afin de faciliter le quotidien des entreprises, « source première de la création de richesses, de la croissance et de l’emploi », comme l’a rappelé Valéry Giscard d’Estaing dans la préface du livre La construction européenne en droit des affaires : Acquis et perspectives. Ce livre est la première étape du travail de l’Association Henri Capitant, avec l’appui de la Fondation pour le droit continental, dont l’accomplissement sera la rédaction d’un Code européen des affaires. Outre un travail scientifique considérable en cours, la volonté d’unification du droit européen des affaires commence à faire son chemin en politique. Aussi, le 1er mars 2017, dans le Livre blanc sur l’avenir de l’Europe, la Commission européenne envisageait plusieurs niveaux d’intégration européenne. L’un d’entre eux vise l’hypothèse dans laquelle « un groupe de pays travaille en collaboration et convient d’un “Code de droit des affaires” commun unifiant le droit des sociétés, le droit commercial et des domaines connexes, qui aide les entreprises de toutes tailles à exercer facilement leurs activités au-delà des frontières ». De façon plus concrète, on constate un projet de coopération renforcée entre la France et l’Allemagne. Le 26 septembre 2017, dans son discours prononcé à la Sorbonne, le président Emmanuel Macron proposait un partenariat nouveau avec l’Allemagne, avec comme objectif d’ici 2024 « d’intégrer totalement nos marchés en appliquant les mêmes règles à nos entreprises, du droit des affaires au droit des faillites ». Le 22 janvier 2018, l’Assemblée nationale et le Bundestag allemand ont adopté une résolution commune dans laquelle elles plaident « pour la réalisation d’un espace économique franco-allemand avec des règles harmonisées, notamment en ce qui concerne le droit des sociétés et l’encadrement des faillites d’entreprises », envisageant même la possibilité d’« une harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés et un travail plus large de convergence ». Selon Franck Riester, député de Seine-et-Marne et délégué national d’Agir, et Rüdiger Kruse, CDU, député de Hambourg au Bundestag, « le renforcement de la coopération entre la France et l’Allemagne ne se fera pas au détriment des autres États membres : en proposant ces mesures, nous souhaitons remettre l’Europe en capacité d’agir et redonner au couple franco-allemand le rôle d’impulsion qui fut longtemps le sien. Dans l’intérêt de la construction européenne et du monde de demain ».
Quels seraient les enjeux d’une telle codification ?
La codification d’un droit des affaires européen présente plusieurs avantages. D’abord, elle participerait à la lisibilité et à l’intelligibilité du droit. Aujourd’hui, les entreprises, et plus particulièrement les PME, perçoivent le droit comme un obstacle à leur expansion en raison du nombre et de l’hétérogénéité des règles européennes et nationales. Demain, grâce au Code européen des affaires, le droit sera enfin perçu comme un outil apportant de la sécurité juridique dans la conquête du marché européen. Les investissements européens et étrangers seront alors encouragés. Ensuite, la création d’un Code européen achèvera le marché unique européen et consolidera la zone euro, aujourd’hui fragilisée par une réglementation trop financière et pas suffisamment commerciale. Enfin, l’unification des règles en droit des affaires permettrait de réduire le dumping entre pays européens. Plus unis, les États européens seront mieux armés pour faire face à la concurrence mondiale.
Pourquoi un tel projet est si long à aboutir ?
Ce projet fait face à des difficultés d’ordre technique et politique. D’un point de vue technique, le recensement et la comparaison des normes européennes ainsi que la rédaction d’un texte pouvant convenir aux spécificités locales représentent un travail considérable, d’autant plus que le champ du droit des affaires est très vaste. Par exemple, dans le cadre de son travail de rédaction d’un projet de Code européen des affaires, l’Association Henri Capitant a créé treize groupes de travail correspondant à treize subdivisions du droit des affaires. La finalisation de ce travail est prévue pour 2020. D’un point de vue politique, si l’Allemagne et la France sont favorables à une plus grande harmonisation en droit des affaires, la position de autres États membres apparaît plus nuancée. Certes, beaucoup de personnes voient dans le Brexit une opportunité d’une plus grande intégration européenne. Cependant, il constitue aussi un indicateur de l’euroscepticisme. En outre, il faudra réussir à convaincre certains États de renoncer aux bénéfices d’une attractivité nationale construite au moyen d’une fiscalité avantageuse ou d’un droit du travail peu protecteur. Relever ces défis prendra du temps mais les avantages attendus d’un Code européen des affaires méritent d’être recherchés.
Recueil Dalloz – 6 septembre 2018 – n°30, p. 1688
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