NEWS Press, 17 octobre 2017
Entretien avec Julien Fouchet, avocat
Julien Fouchet vous êtes avocat et dirigez l’AUDE Association pour l’Unification du Droit Européen. Quel est l’objectif de ce projet ?
Associé dans un cabinet en droit immobilier à Bordeaux, je suis en prise directe avec les problématiques du droit européen. De fait, je préside l’Institut européen et de la francophonie au barreau de Bordeaux.
J’ai eu l’occasion, dans le cadre de cet Institut, de rencontrer Paul Bayzelon qui est à l’origine d’un traité entre pays du continent africain qui ont harmonisé leurs droits des affaires au sein d’un seul et même système judiciaire qui est la Cour commune de Justice et d’Arbitrage, compétente en cassation et qui crée une jurisprudence de référence. Monsieur Bayzelon porte un autre projet déjà abouti visant à harmoniser le droit européen des affaires entre les pays de la zone euro à travers la rédaction d’un Code européen des affaires, pour favoriser le développement économique et compléter l’unité financière de la zone euro.
Poussés par ces différents projets, nous avons créé au début de l’année l’association AUDE (Association pour l’Unification du Droit des affaires en Europe). Le but de cette association est d’organiser des rencontres avec l’OHADA (organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires), des conférences sur le thème du droit européen et son influence normative dans la vie des citoyens et de contribuer à la validation de ce code au sein de la communauté des juristes.
Avant de nous parler du projet de Code européen des affaires, pouvez-vous nous rappeler les grands principes du droit européen ?
Sans être trop technique, je vais rappeler quelques éléments de base. Le droit européen est constitué de différentes normes, qui n’ont pas la même valeur ni le même aspect contraignant.
Le règlement européen est une norme directement opposable une fois votée, sans nécessité de transposition. Ainsi, le règlement peut être soulevé devant n’importe quelle juridiction étatique dans le cadre d’un contentieux.
La directive, elle, donne un objectif à atteindre aux Etats membres. Ainsi, pour être applicable, elle doit être transposée dans le droit national, avec une marge d’appréciation plus ou moins large. La France ne transpose pas toujours ces directives, et ce n’est pas la seule.
Ainsi, le système normatif européen est aujourd’hui loin d’être harmonisé sur tout le territoire, ce qui peut porter préjudice, notamment en droit des affaires.
De plus, les traités européens prévoient une division des moyens d’actions, via trois domaines de compétences.
Le premier est le domaine de compétences exclusives à l’Union Européenne qui comprend le droit de la concurrence, le droit monétaire, le droit des douanes…
Le deuxième domaine est un champ de compétences partagées. Ce n’est que si l’Union Européenne décide de ne pas légiférer que les Etats membres pourront intervenir. Ce partage de compétences s’applique pour les règles relatives au marché intérieur, à l’environnement, au droit de la consommation, à l’agriculture, au transport, à l’énergie…
Enfin vient le domaine des compétences d’appui. Dans ce cadre l’Union Européenne peut appuyer ou compléter ce qu’ont fait les Etats membres dans ces domaines, notamment la santé, l’industrie ou la culture.
Mais l’Europe ne va pas simplement se limiter à un ordre juridique ?
C’est aussi du sens et qui est destiné à chaque citoyen. En 2000, le traité de Nice acte la création de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne, qui devient contraignante, c’est-à-dire applicable auprès de chaque juridiction de chaque Etat membre après la signature du Traité de Lisbonne en 2007. Cette charte proclame pour la première fois l’existence de droits communs pour tout citoyen européen, peu important son Etat membre d’origine.
Conjuguant différents thèmes allant des libertés fondamentales à la dignité humaine, cette Charte a également permis d’offrir aux citoyens européens l’opportunité de lancer un processus législatif auprès de la commission européenne afin de faire rédiger un texte de loi, mais cela reste très encadré.
Plus précisément, quel est l’objectif de l’association AUDE ?
Notre objectif est de procéder à l’unification du droit européen des affaires, comprenant le droit bancaire, des assurances et des marchés pour n’en citer que trois parmi les douze domaines listés.
Le projet de l’AUDE a aussi trouvé ses sources dans les travaux du député Alain Lamassoure et son rapport de 2008 dans lequel sont pointées du doigt les carences de l’entreprise au niveau européen.
Si on fait un raccourci en 2017, il est flagrant d’observer que le citoyen entrepreneur européen vit dans une Union plus financière que commerciale. En effet, L’Union Européenne est très éloignée de la réalité des petites et moyennes entreprises. Il existe beaucoup de normes concernant les banques, les assurances, les consommateurs, mais rien sur les PME/PMI. Il existe évidemment un statut de société européenne, mais le minimum de capital social requis pour la création de cette société (120 000 euros) est trop élevé pour que ce genre de société se développe. De la même manière, le statut de la SARL n’existe pas au niveau européen, ce qui constitue une lacune dans le développement d’un droit européen des affaires et dans le développement économique. Rien qu’en France, les PME embauchent plus de 49% des salariés en France et représentent 99,8% du total du nombre d’entreprises.
De même, il n’existe pas de droit européen pour l’accès au crédit pour l’entrepreneur. Par exemple, il n’existe pas d’euros-hypothèque, ou de contrats européens d’assurances, de droit européen de la procédure collective.
Les obstacles dus aux normes différentes dans tous ces domaines sont autant de freins pour l’activité économique. Il faut donc procéder à une harmonisation (c’est-à-dire appliquer les mêmes règles pour tous) qui pourrait commencer par le droit de la concurrence, plus facile à harmoniser car relevant du domaine de compétence exclusive de l’Union Européenne.
Pourquoi est-ce aujourd’hui essentiel ?
L’objectif aujourd’hui est de relancer la construction européenne après le Brexit. Pour ce faire, il faut permettre aux entreprises de pouvoir constituer une clientèle en dehors de leur Etat membre de domiciliation sans avoir à faire face à des entremêlements entre les normes nationales et étrangères. Cette situation juridique inextricable ne favorise pas le développement à l’étranger des PME/PMI, car seules les grosses entreprises ayant un solide service juridique sont capables de s’armer pour pénétrer les marchés extérieurs.
Il en est de même vis à vis du dumping fiscal. La fiscalité est comprise dans les douze thèmes de compétences exclusives. Il y a des règles déjà existantes, mais qui sont insuffisantes, citons par exemple le taux minimal de TVA.
Notre projet est d’harmoniser les taux au sein de l’Union. Il devient indispensable de créer des normes fiscales communes, d’avoir une dette commune, et un budget commun pour l’Union Européenne qui serait plus conséquent. Il représente actuellement seulement 1 % du budget des Etats membres.
Le droit de l’entreprise comprend aussi une dimension sociale. Qu’en est-il d’une harmonisation du droit du travail ?
Le droit du travail est un sujet très sensible. Il existe déjà des directives sur les travailleurs détachés. Evidemment, des gardes fous ont bien été mis en place pour éviter de profiter du système. Il convient de pousser vers un rapprochement progressif des contrats de travail des pays européen et à terme du droit social, car il est illusoire de croire à une harmonisation immédiate.
Le projet de Code européen des affaires doit montrer aux citoyens européens l’intérêt d’avancer ensemble vers un droit des entreprises unifié, et l’apport que cette harmonisation peut avoir au quotidien pour les entrepreneurs.
Quelles sont à ce stade, les réactions que vous avez obtenues face à ce projet de Code européen ?
Nous essayons de rassembler un maximum de soutiens, chose que nous avons réussi à faire jusqu’à présent. Un ancien président de la République française ainsi que des députés européens se sont rangés à nos côtés. Au niveau des entreprises, nous avons reçu le soutien du MEDEF.
Notre cercle ne cesse de s’étendre grâce à un formidable effet d’entraînement grâce à la participation active de chacun. Aux juristes du Conseil d’Etat, du Conseil constitutionnel, se sont ajoutés de nombreux professeurs d’Universités, des avocats du Barreau de Paris, et des fondations telles que la Fondation Henri Capitant qui a procédé à un état des lieux de la règlementation des affaires.
Au niveau international, il y a beaucoup de participants au sein des Universités allemandes et italiennes, et les gouvernements de ces deux pays se sont tenus informés de l’avancement du projet. Le livre blanc de la Commission européenne mentionne également le projet du Code européen des affaires.
Pour aller plus loin, nous voudrions commencer à rédiger un projet de code. Pour ce faire, nous souhaitons mettre en place un haut comité composé d’éminents juristes pour démarrer la rédaction du Code. L’idée finale est de faire un projet renforcé non pas autour des 27 Etats membres, mais autour des Etats fondateurs : Benelux, France, Allemagne, Italie.